Nous ne sommes pas des mottes de terre glaise et l’important n’est pas ce qu’on a fait de nous mais ce que que nous faisons nous-même de ce qu’on a fait de nous.
Jean Paul Sartre, (Saint Genet, comédien et martyr, p.63).
« Une conscience libre choisit son destin, en ramenant les nuances du monde à une alternative toujours identique: ou j’assume ma liberté en assumant la liberté des autres, ou j’entérine une capitulation intérieure en arguant de la nécessité extérieure ». (Alain Badiou, Logiques des mondes, éditions du seuil, p.419).
Il s’agit donc de ne pas capituler. Et d’abord de ne pas capituler face aux nombreuses « épreuves de la vie » telles que Pierre Rosanvallon a pu les énumérer et en rendre compte : les épreuves du mépris, de l’injustice, de la discrimination, de l’incertitude, de l’humiliation. Et celles de l’échec, de l’isolement, de l’habitude soporifique, qui sont celles d’un « monde atone » (Badiou), où plus rien n’arrive, paralysé-e que l’on est sur ce quai à regarder passer les trains.
Il s’agit, « là où des hommes sont mais n’existent pas » (Henri Maldiney, Regard, parole, espace, éditions L’Age d’Homme, p. 208), de recouvrer et de libérer sa « capacité d’exister » (Rigaud).
Car l’existence ne se dit jamais au singulier, toujours au pluriel : elle est non seulement susceptible de plus ou de moins (comme l’a bien vu Etienne Souriau : « Un tas de glaise sur la sellette du sculpteur. Existence réique indiscutable, totale, accomplie. Mais existence nulle de l’être esthétique qui doit éclore », E. Souriau, Les différents modes d’existence, PUF, p. 107), mais son intensité peut être nulle dans tel monde, maximale dans tel autre.
« Rien pas même nous, ne nous est donné autrement que dans une sorte de demi-jour, dans une pénombre où s’ébauche de l’inachevé, où rien n’a ni plénitude de présence, ni évidente patuité, ni total accomplissement, ni existence plénière » (p.195-196).
Il s’agit donc d’assumer un pluralisme existentiel intensif : comment exister dans plusieurs mondes à la fois et de façon maximale, c’est-à-dire intensive ?
Pour ce faire, il faut se positionner sur et sélectionner ces points où une décision doit être prise, de façon à choisir librement les tournants, c’est-à-dire les nouvelles orientations, que l’on souhaite donner à ses existences.
Concrètement, il s’agit, comme un ballon d’hélium ou ces montgolfières, de lâcher ces sacs d’inhibitions, de croyances limitantes, pour prendre son envol et gravir les échelles de l’existence ; de détacher les élastiques (Haimowitz et Kupfer) qui nous maintiennent rivés-es et qui nous raccrochent à des expériences de vie passées et usées (ce que Éric Berne, le fondateur de l’analyse transactionnelle appelait le protocole primal)
Comme nous le préconisent les analystes transactionnels, il s’agit de se reconnecter et d’activer son Enfant Libre et Spontané Intérieur, de façon à réécrire un scénario de vie plus sain et plus vivifiant. A l’instar également de Nietzsche qui, du chameau, à l’enfant en passant par le lion, nous enjoignait de laisser nos fardeaux (chameau) et le refus révolté (le grand NON ! du lion) pour laisser la place au grand Oui de la vie (l’innocence de l’enfant).
Mais des obstacles majeurs se dressent alors sur la route. Citons-en quelques-uns :
- L’activation de scénarios : « N’existe pas », « Ne réussis pas », « Ne grandis pas », « Ne sois pas en bonne santé », « Ne sois pas un-e enfant », « Ne sois pas toi-même », « Dépêche-toi de grandir », « Ne pense pas », « Ne sens pas ce que tu sens » (autrement dit : sens ce que moi je sens) ». Éric Berne les définissait ainsi : « Les scénarios constituent des systèmes artificiels qui limitent les aspirations humaines créatives et spontanées. »
- Celui que Joyce Mc Dougall (Plaidoyer pour une certaine anormalité, Gallimard) avait identifié comme étant le profil du normopathe : contrairement à la personnalité schizoïde, introvertie, cloîtrée dans sa seule subjectivité, les normopathes sont « si solidement ancrés dans la réalité objectivement perçue qu’ils sont malades, mais dans la direction opposée : ils ont perdu le contact avec le monde subjectif et se montrent incapables de toute approche créative de la réalité » (Winnicott, Jeu et réalité, Gallimard, p.93).
Incapables ? Pas si sûr. Car les ressources sont là, présentes, enfouies, attendant le moment de leur découverte ; d’autres ne demandant qu’à être créées, inventées :
Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ! (Mallarmé)
- Celui épinglé par Aaron W. Schiff et Jacqui L. Schiff (Passivité, A.A.T., 3, 1977, pp. 121-128) qui ont identifié quatre comportements qui ressortissent du registre de la passivité:
-1. L’abstention (inhibition de la réaction)
-2. La sur-adaptation (accomplir les objectifs de quelqu’un d’autre)
-3. L’agitation (suractivités sans but ni objectif)
-4. L’incapacitation ou la violence (victimisation ou décharge brusque d’énergie refoulée)
- Les Méconnaissances : Je me mets alors à m’enfermer dans un prêt-à-ruminer qui prend la forme des verbatims suivants et qui peuvent se manifester à 4 niveaux :
- Je peux ainsi méconnaître l’existence d’un problème et faire comme si tout allait bien : « tout va bien de mon côté, je n’ai pas de problème »
- Je peux méconnaître la signification du problème : « oui, j’ai un problème mais je suis comme ça depuis toujours »
- Je peux méconnaître la possibilité de résoudre le problème: « oui j’ai un problème, mais personne ne peut rien faire pour moi, le problème est insoluble ».
- Je peux méconnaître mon aptitude et ma capacité à résoudre le problème : « oui j’ai un problème, j’aimerais bien le résoudre mais je ne peux rien faire car c’est au-dessus de mes forces ».
- Les Redéfinitions : « Par « redéfinition », nous entendons le mécanisme qu’utilisent les personnes pour maintenir leur point de vue sur elles-mêmes, sur les autres et sur le monde, dans le but de promouvoir leur scénario. C’est le moyen par lequel les gens se défendent eux-mêmes contre les stimuli qui sont incompatibles avec leur cadre de référence, en les « redéfinissant » de telle sorte qu’ils s’insèrent dans ces cadres ». (in, Ken Mellor et Eric Schiff, A.A.T., 3, 1977, pp. 140-149). Il s’agit donc de plier ce qui nous arrive aux schémas, souvent dysfonctionnels, dont nous avons hérités et qui finissent par devenir notre pilotage automatique. Inutile de dire combien cette posture empêche d’identifier la nouveauté dans ce qui nous arrive, tout étant relégué à du déjà-vu et du déjà-dit.
- L’expérience du « vide du scénario» : Dorothy Jongeward analyse le cas de ces femmes américaines qui ont un scénario du type La belle au bois dormant et qui les prépare à être exclusivement des épouses et des mères. Parvenues à un certain âge (généralement après la quarantaine) s’ouvre alors « un espace de vie libre, mais difficile pour beaucoup de femmes n’ayant pas de scénario. Elles peuvent faire l’expérience du vide du scénario ». Pourquoi la traversée de cet espace est-elle difficile pour ces femmes ? Essentiellement parce que « quand une femme moderne rencontre le vide du scénario, elle se sent le plus souvent perdue, finie, déprimée et inutile ». (in, Dorothy Jongeward , A.A.T., 9, janvier 1979, pp. 45-48).
Que faire alors, si ce n’est redéployer sa :
- Capacité d’exister
- Capacité de penser
- Capacité d’œuvrer
- Capacité de réussir
- Capacité de régénération
Bref : SA CAPACITE DE REDECIDER DE SOI